Le Menteur - Acte III - Scène 2

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ALCIPPE, PHILISTE.

Philiste

Ce cœur encor soupire !

Alcippe

Hélas ! je sors d’un mal pour tomber dans un pire.
Cette collation, qui l’aura pu donner ?
À qui puis-je m’en prendre ? et que m’imaginer ?

Philiste

Que l’ardeur de Clarice est égale à vos flammes.
Cette galanterie était pour d’autres dames.
L’erreur de votre page a causé votre ennui,
S’étant trompé lui-même, il vous trompe après lui.
Je viens de tout savoir d'un des gens de Lucrèce.
Il avait vu chez elle entrer votre maîtresse,
Mais il n’avait pas vu qu’Hippolyte et Daphné
Ce jour-là par hasard chez elle avaient dîné.
Comme il en voit sortir ces deux beautés masquées,
Sans les avoir au nez de plus près remarquées,
Voyant que le carrosse, et chevaux, et cocher ;
Etaient ceux de Lucrèce, il suit sans s'approcher,
Et les prenant ainsi pour Lucrèce et Clarice,
Il rend à votre amour un très mauvais service.
Il les voit donc aller jusques au bord de l’eau,
Descendre de carrosse, entrer dans un bateau,
Il voit porter des plats, entend quelque musique,
(À ce que l’on m’a dit, assez mélancolique).
Mais cessez d’en avoir l’esprit inquiété,
Car enfin le carrosse avait été prêté :
L’avis se trouve faux, et ces deux autres belles
Avaient en plein repos passé la nuit chez elles.

Alcippe

Quel malheur est le mien ! Ainsi donc sans sujet
J’ai fait ce grand vacarme à ce divin objet ?

Philiste

Je ferai votre paix, mais sachez autre chose.
Celui qui de ce trouble est la seconde cause,
Dorante, qui tantôt nous en a tant conté
De son festin superbe et sur l’heure apprêté,
Lui qui depuis un mois nous cachant sa venue,
La nuit incognito visite une inconnue,
Il vint hier de Poitiers, et, sans faire aucun bruit,
Chez lui paisiblement a dormi toute nuit.

Alcippe

Quoi ! sa collation…

Philiste

N’est rien qu’un pur mensonge,
Ou bien s'il l'a donnée, il l’a donnée en songe.

Alcippe

Dorante en ce combat si peu prémédité,
M’a fait voir trop de cœur pour tant de lâcheté.
La valeur n’apprend point la fourbe en son école,
Tout homme de courage est homme de parole,
À des vices si bas il ne peut consentir,
Et fuit plus que la mort la honte de mentir,
Cela n’est point.

Philiste

Dorante, à ce que je présume,
Est vaillant par nature, et menteur par coutume.
Ayez sur ce sujet moins d’incrédulité,
Et vous-même admirez notre simplicité,
À nous laisser duper nous sommes bien novices.
Une collation servie à six services,
Quatre concerts entiers, tant de plats, tant de feux,
Tout cela cependant prêt en une heure, ou deux,
Comme si l’appareil d’une telle cuisine
Fût descendu du ciel dedans quelque machine,
Quiconque le peut croire ainsi que vous et moi,
S’il a manque de sens, n’a pas manque de foi.
Pour moi, je voyais bien que tout ce badinage
Répondait assez mal aux remarques du page,
Mais vous ?

Alcippe

La jalousie aveugle un cœur atteint,
Et sans examiner croit tout ce qu’elle craint.
Mais laissons là Dorante avecque son audace,
Allons trouver Clarice, et lui demander grâce,
Elle pouvait tantôt m’entendre sans rougir.

Philiste

Attendez à demain et me laissez agir,
Je veux par ce récit vous préparer la voie,
Dissiper sa colère et lui rendre sa joie,
Ne vous exposez point, pour gagner un moment,
Aux premières chaleurs de son ressentiment.

Alcippe

Si du jour qui s’enfuit la lumière est fidèle,
Je pense l’entrevoir avec son Isabelle.
Je suivrai tes conseils, et fuirai son courroux
Jusqu’à ce qu’elle ait ri de m’avoir vu jaloux.

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